jeudi 25 octobre 2012

Madame la tiédeur


Madame la tiédeur [1]


Par définition, la tiédeur est un état de ce qui n'est ni chaud ni froid. L’Apocalypse de Saint Jean la considère comme pire condition où l'on puisse se trouver : « Tu n'es ni bouillant ni froid. Que n'es-tu froid ou bouillant ! Mais parce que tu es tiède, et non froid ou bouillant, je vais te vomir de ma bouche » (Ap 3, 15-16).

Placé essentiellement sur le plan de la vie spirituel, cette terminologie thermique s’explique ainsi : « Chaud est celui qui persévère, avec la ferveur initiale, dans le service de Dieu ; froidest celui qui n'a jamais eu de ferveur et n'a jamais commencé à servir Dieu. Tiède est celui qui, à un moment, a reçu des dons et des grâces de Dieu et qui, ensuite, par négligence a connu un relâchement spirituel et est retourné en arrière, ou bien qui, ayant commencé à servir Dieu de façon imparfaite, n'a jamais progressé jusqu'à une ferveur remarquable »[2]

La tiédeur équivaut ainsi à ce que la doctrine spirituelle traditionnelle a préféré appelerparesse. Cette dernière étant des sept péchés capitaux. Pour Antoine Marie Zaccaria « Il faut détruire cette peste qui est la pire ennemie du Christ crucifié et qui règne si puissamment en ces temps modernes et qui s'appelle la tiédeur »[3] Il prescrit alors à ses fils de discuter, dans leurs conférences, des « causes de la ferveur ou de la tiédeur, de leurs propriétés et de leur point culminant »[4] A propos de la tiédeur, les Detti notabili donne la description et l’environnement de la celle-ci en ces termes : « La mère de la tiédeur est l'ingratitude envers les bienfaits de Dieu ; ses compagnes sont la sensualité, la curiosité et les distractions ; sanourrice est la confiance dans la bonté de Dieu, accompagnée de quelque bonne œuvre, et le fait de se persuader qu'il suffit d'éviter les fautes graves, comme si la tiédeur n'était pas un péché grave ; sa fille très chère est madame l'hypocrisie cachée sous l'apparence de la vérité et remplie intérieurement de puanteur » (27, 19) ; « le principe de la tiédeur est de n'attacher aucune importance aux plus petites choses, le milieu est de commettre des fautes graves, la finest le mépris de Dieu » (27, 28) ; « la tiédeur commence par le manque de considération,persévère dans l'obscurité spirituelle et finit par l'aveuglement de l'intelligence » (27, 31).

Antoine Marie Zaccaria esquisse, dans ses écrits, les causes et les effets de la tiédeur, sespropriétés et les signes qui la manifestent, son point culminant, tout en proposant quelques remèdesS’agissant des Causes, il évoque l'indécision ou irrésolution, en mettant l’accent sur trois grandes distinctions dont il développe une seule. Il s’agit de la distinction entre les préceptes et les conseils dans laquelle on se fie à observer les préceptes en négligeant les simples conseils (Sermon 6) ; la distinction entre les péchés mortels et les péchés véniels ainsi que la présomption qui en découle selon laquelle nous méritons le pardon de Dieu. (voir Lettre 11 et Miroir spirituel de Fra Baptista). Une autre distinction se situe au niveau de la lumière et du feu et met l’accent sur le manque de lumière chez ceux qui n’ont pas une grande intelligence et le manque d’ardeur chez ceux qui sont intelligents (Constitutions du Fondateur 11 et Lettre 12).



Quant aux Effets,  l'indécision, en plus d'être la cause, est aussi un effet de la tiédeur. En fait quand l’homme tiède délibère sur une question, quand il en examine le pour et le contre il est incapable de décider des raisons qui sont les meilleures et ne parvient pas, par conséquent, à se positionner. Ainsi la tiédeur est-elle un empêchement au progrès (Constitutions 18), voir même à la vie spirituel (Lettre 11).

Pour ce qui est des Propriétés. Antoine-Marie décrit en détail dans la Lettre 11, le comportement des tièdes qu'il assimile aux pharisiens. Pour lui, « Le pharisien – ou le tiède – ne retranche de sa vie que le gros et retient le menu ; il fuit les choses illicites mais s'accorde tout ce qui est permis ; il s'abstient des actions sensuelles mais prend plaisir à la sensualité dans les regards; et ainsi, il veut le bien mais ne le veut pas tout entier ; il se modère en certaines choses mais non en tout ».

Et pour les SignesZaccaria consacre un chapitre de ses Constitutions aux « signes de la ruine de la discipline religieuse » ou signes de relâchement. (17)  La conséquence des ces signes démontre l’augmentation de la tiédeur au sein des communautés, au détriment de la discipline religieuse.

Le sommet de la tiédeur réside dans la haine qu'éprouvent les tièdes envers les fervents. En effet, les tièdes ne se contentent pas de traîner dans leur condition : ils ne tolèrent pas qu'existent d'autres personnes meilleures qu'eux et, pour cette raison, ne leur permettent même pas de se séparer d'eux. Ils tiennent à se camoufler derrière la ferveur des autres en prétextant l’importance de l’unité (Cs 17). Cependant ils restent jaloux et s’opposent à tout idées rénovatrice car ils regardent comme une honte de vivre avec quelque de meilleurs qu’eux.

Réaction.
C’est au sommet même de cette tiédeur que se place le Fondateur pour encourager et définir les qualités d’un bon réformateur. Il commence par une recommandation : Il faut « fuir le danger de tomber dans la tiédeur » (Lt 11). Pour cela, il est nécessaire de suivre la voie de la séparation et surtout la séparation d’avec la tiédeur (Sr 6). Au réformateur, il donne cette consigne : « Sans orgueil et sans présomption...mais avec audace, tu élèveras la croix le plus puissamment possible pour détruire la tiédeur et restaurer la discipline religieuse » (Cs 18). Il faudra alors une stratégie au réformateur car la tiédeur n’est pas facilement curable.

Remèdes.
En remède contre la tiédeur, il faut emprunter la voie de la crainte de Dieu, mais faudra-t-il quelle soit filiale, et de la méfiance envers soi-même. Mais plus encore, il convient de fuir la compagnie des tièdes en faveur de celle des fervents. D’où sa recommandation : « Si tu veux commencer à fuir la tiédeur, emploie le marteau de la peur contre la fausse confiance (en toi) ; si tu veux faire des progrès dans son extirpation, désire la vertu pour elle-même sans attacher un regard à la récompense; si tu veux la tuer complètement, désire, par amour pour le Christ, tous les opprobres et toutes les épreuves »[5] (27, 22-23).

Ce triple cheminement, commencer-extirper-tuer, exige un procédé progressif qui consiste dans le retranchement d’un vice chaque jour, jusqu’à guérir la plaie de la tiédeur. Cela demande donc une attention à pouvoir faire quelque chose de plus chaque jour tout en se mortifiant de la convoitise et de la sensualité même dans ce qui est permis.[6] En outre, si le distinction des préceptes et conseils sert d’alibi à certains pour rester dans la tiédeur, elle peu à contrario être un antidote à cette même tiédeur dans la mesure où l’on s’en tient à commencer par observer même le moindre des conseils pour aboutir aux préceptes. Ainsi « Celui qui veut fuir le danger de pécher contre les préceptes doit nécessairement observer les conseils »[7].

En somme, Saint Antoine Marie Zaccaria montre que la tiédeur est un problème central de la vie chrétienne, car elle s’attaque à l’identité même du chrétien. C’est apparaît une négation de soi dans la mesure où lé tiède est un chrétien et ne l’est pas vraiment. Il l’est de manière formelle du fait de son appartenance et sa participation n’est que formelle. Cependant fondamentalement il s’en éloigne. L’on comprendra alors pour quoi le tiède de Zaccaria correspond au pharisien contre lequel s’insurge Jésus dans l’Evangile.

La vocation réformatrice des Barnabites  est donc un appel à mener une lutte acharnée contre la tiédeur. C’est pourquoi leur fondateur les invites à être des grands Saints. Et Grand Saint, on le devient par cette ascension vers la perfection à travers cette méthode progressive de l’élimination de la tiédeur. Une méthode qui indique clairement que le mouvement d’une parfaite reforme part de l’intérieur pour se déployer ensuite sur l’humanité tout entière. Elle commence par parfaire la toute petite et simple vie, là même où elle ne connait pas encore des lois et des règles, pour aboutir à sa complexité.





[1] Cf. Antonio M. Gentili ; Giovanni M. Scalese, Lexique pour l’Esprit (Apunto per lo Spirito), Enseignement spirituel et ascetique de Saint Antoine Marie Zaccaria, Milan, Ancora, 1994
[2] Detti notabili, 27, 1
[3] Antoine Maria Zaccaria, Lettre 5
[4] Constitutions du fondateur n°9
[5] Detti notabilli, 27, 22-23.
[6] Antoine Maria Zaccaria, Lettre 11 
[7] Antoine Maria Zaccaria, Sermon 6 

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