Le Charisme des Barnabites

CHARISME DES BARNABITES

                                                                                                                 Par Père Bienvenu BISIMWA LUHIRIRI, Barnabite


Le but de l’ordre des Clercs Réguliers de Saint Paul est de réaliser l’Idéal d’une totale consécration à Dieu dans le service apostolique dont le champ « s’étend jusqu’à la limite que le Christ lui a fixée », et cela avec une application particulière à la formation humaine et chrétienne de la jeunesse dans les écoles.

 

LE CHARISME DES BARNABITES

 

Si les vœux et la vie commune sont les deux éléments qui fondent la vie religieuse, le charisme est quant à lui au cœur de tout institut de vie consacrée. Notons que le charisme se dit bien dans le vécu. C'est-à-dire qu’il est plus pratique que théorique. Sur ce il n’est pas aussi facile de le réduire en une formule donnée aussi longue qu’elle puisse être. Toutefois quelques mots peuvent permettre d’en donner l’essentiel. Pour comprendre le charisme des Barnabites, il faut d’abord avoir une idée sur le mot lui-même.

 

a)   Notion sur le mot charisme

De par son origine le mot charisme vient du grec karisma et signifie grâce ou ferveur. Il fait référence aussi bien aux dons, comme aptitudes ou capacités naturelles exceptionnelles qu’ont certaines gens, qu’aux dons spirituels, fruits de l’Esprit Saint. Ainsi, par exemple, peut-on trouver dans les écrits de Saint Paul une double dimension du mot charisme : d’un côté le don de la vie chrétienne reçu généralement par tous au baptême, de l’autre les dons spécifiques reçus de manière particulière pour le service au sein de la communauté chrétienne. De ce point de vue, « Le religieux est appelé à vivre le don du baptême qui l’incorpore au corps vivant du Christ, au sein d’une famille religieuse qui a reçu de l’Esprit un charisme particulier pour réaliser une mission spécifique au sein de l’Eglise et du monde. »[i]

Dans cette perspective, « Le charisme de vie religieuse n’est pas un programme ou une structure figée, mais une énergie spirituelle de l’Esprit, une puissance de vie, à communiquer. Il est une force dynamique qui incorpore la religieuse dans une famille dotée d’une mission charismatique ; une force qui sans cesse peut resurgir, s’actualiser, sommeiller ou s’enliser. »[ii]

Ainsi, parler du charisme d’une vie consacrée implique deux éléments indispensables à savoir les Constituions et la Spiritualité de la congrégation. Le premier élément constitue une entité normative particulière de la congrégation. Celle-ci se déploie et se concrétise dans le second comme une manière personnelle de vivre la vocation de l’Eglise qui consiste dans la plus grande gloire de Dieu et le salut de l’humanité. Autrement dit, dans l’exercice de la mission évangélique. Ainsi donc, un charisme peut être modifié ou enrichie des nouveaux éléments au cours du temps. Cependant il ne peut pas se concevoir en dehors de la motivation fondatrice de ladite congrégation. Cette motivation de départ constitue le charisme fondateur de l’institut ou charisme de la fondation, qu’il ne faut pas confondre avec le charisme personnel du fondateur ou de la fondatrice. Le premier constitue le noyau à la naissance de l’institut et est transmis comme mode de vie à la postérité, tandis que le second concerne le vécu personnel du fondateur en rapport avec sa foi et sa relation à Dieu.

 

b)      Le charisme des barnabites

 

Comme tout institut de vie consacrée, les Barnabites ont aussi leur charisme spécifique qui est décrit dans leurs Constituions et se manifeste dans leur vécu spirituel.

Les Constitutions de 1579 énoncent mieux le charisme de la fondation dans l'expression suivante : saeculo renuntiantes, totosque nos Deo dedicantes, animarum saluti deserviamus (renonçant au monde, et nous dédiant totalement à Dieu, nous sommes au service du salut des âmes).

Les récentes Constitutions de 1983[iii], parlant du charisme, reprennent la même formule mais en l’enrichissant : Appelés à vivre plus pleinement notre consécration baptismale sur les traces du Christ, nous avons librement choisi la vie commune pour réaliser le même idéal que celui de nos premiers confrères, qu’ils ont résumé dans le renoncement à l’esprit du monde et dans le total dévouement à Dieu et au salut de nos frères.[iv]

Par renoncement à l’esprit du monde : les Barnabites entendent repousser le matérialisme et cultiver la vie intérieure dans la communauté à travers le renouvellement spirituel intense et l’ascèse qui visent la purification constante de la volonté. Ici, il convient de se rappeler qu’ils sont nés dans un contexte de reformation des mœurs. Le renoncement fait également état des conseils évangéliques qui sont une forme concrète du tout abandonné et porter sa croix pour suivre le Christ chaste, pauvre et obéissant.

En outre, par dévouement total à Dieu : ils expriment leur donation totale, inégalable et définitive à Dieu, dans une spiritualité et un ministère pastoral qui sont centrés sur le Christ Crucifié et le Christ Eucharistique. Pour ce faire ils prennent pour modèle et maître l’apôtre Saint Paul qui, fixant le regard sur le Crucifié, a su se configurer à ce dernier au point que ce soit le Christ qui vive en lui.[v] Il le montre par son dévouement apostolique et son zèle pastoral jusqu’au don de sa vie pour le Christ.

Aussi, par le dévouement total au salut des leurs frères (service du salut des âmes) les Barnabites veulent s’adonner au service universel et inconditionnel de leurs frères et sœurs, au-dessus de tout, à travers leur amour préférentiel pour le pauvre, la promotion de la justice et de la paix, l’éducation de la jeunesse et le développement humain intégral. Outre ces grands traits on peut ajouter leur participation à la mission universelle de l’Eglise, surtout par une étroite collaboration avec les évêques ; ainsi que leur sens de discrétion vécu plus dans la sagesse et la vertu, et qui est transmis à chaque génération. On le remarque chez eux à travers : l’unité fraternelle qui est différent de l’uniformité ; la liberté spirituelle et intellectuelle qui fuit toutes les formes d’extrémisme ; une attitude respectueuse et accueillante envers tous rendu possible par la tolérance et l’affabilité, ainsi qu’une attention aux autres et à la communauté. Le vécu de ce charisme laisse surgir chez les barnabites quelques caractéristiques que nous allons à présent évoquées.

 

c)       Les caractéristiques de l’ordre :

Ces caractéristiques que nous nous permettons de relever ici ne sont pas exhaustives et ne sauraient l’être tant il est vrai que muni d’un esprit réformateur, les Barnabites adapte leur esprit et leurs apostolats non seulement aux besoins de l’Eglise, mais également aux besoins pastoraux que pose le milieu de vie.

 

1° Une vie intense de rénovation intérieure :

Aux origines, la vie spirituelle des barnabites est d’orientation augustinienne. Elle vise pour cela la rencontre du Seigneur dans les profondeurs de soi-même pour pouvoir se lier intimement au Christ. Et pour y arriver, les Barnabites centrent leur vie sur le Christ crucifié et sur l’Eucharistie.

En fait le fondateur disait : « Pour convertir les âmes, attachez-les au Christ crucifié et ne vous donnez de la peine pour rien d’autre ; en effet, lorsque quelqu’un s’est épris du Crucifié, ensuite il déteste toutes les vanités et les a en horreur, et tout seul, il refuse les plaisirs superflus et ce qui s’oppose à la bonne discipline chrétienne ». 

Quant à l’Eucharistie, la propagation du culte eucharistique et de la dignité de la liturgie est une note caractéristique de la tradition des Barnabites. Le mystère eucharistique est pour eux le moment culminant de la liturgie, par lequel le Christ les incorpore à lui et fonde ainsi leur fraternité.  C’est depuis leurs origines que la vie communautaire de la congrégation est centrée sur la liturgie dans un double aspect à savoir : celui de la célébration eucharistique et celui de la louange divine à travers l’adoration eucharistique et la liturgie des heures.

L’on peut donc dire que de par leur tradition, les Barnabites sont engagés à rendre l’Eucharistie effectivement sommet de la vie ecclésiale, centre de la prière d’adoration, source de la communion fraternelle et impulsion à l’apostolat et à la charité active. Les Constitutions disent à ce propos que l’offrande personnelle au Père, en union avec le Christ, doit se prolonger dans la journée par le travail pastoral et par la liturgie des heures.[vi] Elles soulignent en outre que la propagation du culte eucharistique et la dignité de la liturgie sont une note caractéristique de la tradition des Barnabites[vii]. Rappelons ici que la tradition de l’Adoration de 40 heures est bien reconnue par l’Eglise à Saint Antoine Maria Zaccaria. Cette Adoration est considérée comme une chaine des prières qui commence par une messe suivie d’une procession, ensuite d’une exposition du Saint Sacrément pendant 40 heures, et se conclu par une messe pour la paix. Elle représente ainsi une plénitude de vie dans le Christ.

Il faut dire alors que la vie des Barnabites est une vie de prière par laquelle ils maintiennent un contact vivant avec Dieu et prennent le goût de l’amour du Christ envers le Père pour le déployer, à leur tour envers leurs frères les hommes, à l’exemple de Saint Paul. Une vie de pénitence et d’ascèse, comme offrande à la miséricorde divine en reconnaissance de leur état des pécheurs et conscients de leurs faiblesses comme entrave à la donation totale et inconditionnelle à Dieu.

Les barnabites ont un amour filial à la Vierge Marie qu’ils vénèrent sous le titre de Mère de la Divine Providence dont le culte constitue un rappel incessant à imiter la fidélité de la réponse de Marie à l’appel de Dieu et à voire en Elle un modèle et un recours à la vie religieuse. En outre les Barnabites vénèrent de manière spéciale l’apôtre Saint Paul, qu’ils ont choisi comme Père et Guide, à travers l’étude de sa doctrine et l’imitation de ses vertus. Par ailleurs, les barnabites veulent faire toujours honneur à leur fondateur, Saint Antoine Marie Zaccaria, en s’efforçant de perpétuer son charisme dans l’Eglise par un amour intense de Dieu et du prochain, pratiqué avec une foi sans défaillance et une ferveur sans cesse renouvelée dans l’action[viii].

Une rénovation intérieure exige bien un temps d’examination et de la vie spirituelle elle-même et du travail apostolique et pastoral. Cela demande un temps de s’arrête et se recueillir. D’où le caractère obligatoire de la méditation quotidienne et de la retraite annuelle dans la vie d’un Barnabite.

 

2° Un esprit communautaire typique :

L’Ordre est composé des Clercs et des Frères coadjuteurs à vœux perpétuels et solennels dont l’union avec le Christ et d’autres frères se manifeste dans la vie communautaire, en mettant en valeur ce qui unit et en surmontant ce qui divise. Leur vie commune ne signifie pas uniformité, elle est une complémentarité des personnes et des tâches apostoliques, les conduisant sous l’action de l’Esprit Saint, seul dispensateur des dons, vers l’acquisition du charisme le meilleur qu’est la charité : plénitude de la foi et lien de la perfection.[ix]

De ce point de vue, la vie communautaire suppose une même conviction de foi et concourt au développement harmonieux de chaque religieux en tant qu’homme et chrétien. Elle favorise en particulier la maturation humaine et l’initiative personnelles ; elle encourage la responsabilité collective et les échanges entre frères ; elle est un soutien dans les moments difficiles et fournit les moyens les plus adéquats pour la réalisation d’initiatives communes. Ainsi chaque religieux se doit-il d’assumer la responsabilité de son travail aussi bien apostolique, professionnel, intellectuel que manuel. Il le considérera réellement comme une œuvre de charité envers ses confrères, au-delà des simples moyens de subsistance.

 

3° Un engagement spécial dans la réforme des mœurs :

Selon le contexte même de leur fondation, les Barnabites sont naturellement des réformateurs des mœurs aussi bien du clergé que de tous les chrétiens et, plus encore, de tout homme dans la société. C’est ainsi que, d’après la recommandation de leur fondateur, ils doivent faire preuve de perfection non seulement en se consacrant à ce qui est recommandé, mais surtout en observant même ce qui relève du simple conseil. C’est de cette manière qu’ils peuvent rejeter la médiocrité et fuir la tiédeur. Dans cette optique, le fondateur déclare ceci : « Il ne vous servirait de peu –pour vous et pour les autres – de combattre le mal et d’améliorer ce qui est bon, si vous ne visiez à atteindre la perfection. Car tel est le propre du bon réformateur. » D’où l’exigence d’un engagement totale et ferme.

La lutte contre la tiédeur est donc véritablement un cheval de batail pour tout Barnabite. Ce thème occupe une place centrale dans l’enseignement du Fondateur et ce dernier se montre catégorique à propos. Pour lui « Il faut détruire cette peste qui est la pire ennemie du Christ crucifié et qui règne si puissamment en ces temps modernes et qui s'appelle la tiédeur ».[x] Au fond, saisir le sens de ce qu’Antoine Marie Zaccaria appelle « tiédeur » c’est avoir déjà une clé de lecture essentielle dans la compréhension de la vocation et de l’orientation des Barnabites vers la réforme des mœurs. Sur ce, il est important de faire une petite note particulière sur la tiédeur dans l’entendement de Saint Antoine Marie Zaccaria.  

 

 

UNE NOTE SUR LA TIEDEUR [xi]

 

Par définition, la tiédeur est un état de ce qui n'est ni chaud ni froid. Disons-le déjà, L’Apocalypse de Saint Jean la considère comme la pire condition dans laquelle l'on puisse se trouver : « Je connais ta conduite : tu n'es ni froid ni chaud - que n'es-tu l'un ou l'autre ! Ainsi, puisque te voilà tiède, ni chaud ni froid, je vais te vomir de ma bouche. » (Ap 3, 15-16).

 

Placé essentiellement au niveau spirituel, cette terminologie thermique s’explique ainsi : « Chaud est celui qui persévère, avec la ferveur initiale, dans le service de Dieu ; froid est celui qui n'a jamais eu de ferveur et n'a jamais commencé à servir Dieu. Tiède est celui qui, à un moment, a reçu des dons et des grâces de Dieu et qui, ensuite, par négligence a connu un relâchement spirituel et est retourné en arrière, ou bien qui, ayant commencé à servir Dieu de façon imparfaite, n'a jamais progressé jusqu'à une ferveur remarquable »[xii] La tiédeur équivaut ainsi à ce que la doctrine spirituelle traditionnelle a préféré appeler paresse, cette dernière étant un des sept péchés capitaux.

A. M. Zaccaria prescrit à ses filles et fils de discuter, dans leurs conférences, des « causes de la ferveur ou de la tiédeur, de leurs propriétés et de leur point culminant ».[xiii] Les Detti notabili donnent une large description de la tiédeur et son environnement en ces termes : « La mère de la tiédeur est l'ingratitude envers les bienfaits de Dieu ; ses compagnes sont la sensualité, la curiosité et les distractions ; sa nourrice est la confiance dans la bonté de Dieu, accompagnée de quelque bonne œuvre, et le fait de se persuader qu'il suffit d'éviter les fautes graves, comme si la tiédeur n'était pas un péché grave ; sa fille très chère est madame l'hypocrisie cachée sous l'apparence de la vérité et remplie intérieurement de puanteur » (27, 19) ; « le principe de la tiédeur est de n'attacher aucune importance aux plus petites choses, le milieu est de commettre des fautes graves, la fin est le mépris de Dieu » (27, 28) ; « la tiédeur commence par le manque de considération, persévère dans l'obscurité spirituelle et finit par l'aveuglement de l'intelligence » (27, 31).

 

Antoine Marie Zaccaria esquisse, dans ses écrits, des causes et effets de la tiédeur, ses propriétés et les signes qui la manifestent, ainsi que de son point culminant tout en en proposant quelques remèdes.

·         S’agissant des Causes de la tiédeur : il évoque l'indécision ou irrésolution, en mettant l’accent sur trois grandes distinctions dont il a pu développer juste une seule avant que la mort ne l’emporte prématurément. Il s’agit de la distinction entre les préceptes et les conseils dans laquelle on se fie à observer les préceptes en négligeant les simples conseils (Sermon 6) ; la distinction entre les péchés mortels et les péchés véniels ainsi que la présomption qui en découle selon laquelle nous méritons le pardon de Dieu. (Voir Lettre 11 et Miroir spirituel de Fra Baptista). Une autre distinction se situe au niveau de la lumière et du feu et met l’accent sur le manque de lumière chez ceux qui n’ont pas une grande intelligence et le manque d’ardeur chez ceux qui sont intelligents (Constitutions du Fondateur 11, inédite, et Lettre 12).[xiv]

·         Quant aux Effets de la tiédeur : l'indécision, en plus d'être la cause, est aussi un effet de celle-ci. En fait quand l’homme tiède délibère sur une question, quand il en examine le pour et le contre il est incapable de décider des raisons qui sont les meilleures et ne parvient pas, par conséquent, à se positionner. Ainsi la tiédeur est-elle un empêchement au progrès (Constitutions 18), voir même à la vie spirituelle (Lettre 11).

·         Concernant les Propriétés de la tiédeur : Antoine-Marie décrit en détail dans la Lettre 11, le comportement des tièdes qu'il assimile aux pharisiens auxquels s’attaque Jésus dans l’Evangile. Pour lui, « Le pharisien – ou le tiède – ne retranche de sa vie que le gros et retient le menu ; il fuit les choses illicites mais s'accorde tout ce qui est permis ; il s'abstient des actions sensuelles mais prend plaisir à la sensualité dans les regards ; et ainsi, il veut le bien mais ne le veut pas tout entier ; il se modère en certaines choses mais non en tout ».

·         Et pour ce qui est des Signes qui manifestent la tiédeur, A. M. Zaccaria consacre le chapitre 17 de ses Constitutions aux « signes de la ruine de la discipline religieuse » ou « signes de relâchement ». La conséquence de ces signes démontre l’augmentation de la tiédeur au sein des communautés, au détriment de la discipline religieuse.

·         Quant à la sommité de la tiédeur : elle réside dans la haine qu'éprouvent les tièdes envers les fervents. En effet, les tièdes ne se contentent pas de traîner dans leur condition, mais également ils ne tolèrent pas qu'existent d'autres personnes meilleures qu'eux et, et malgré cela, ils ne permettent pas du tout que les fervents se mettent à leur l’écart. Ils tiennent à se camoufler derrière la ferveur des autres en prétextant l’importance de l’unité. Cependant ils restent jaloux et s’opposent à tout idées rénovatrices car ils regardent comme une honte de vivre avec quelqu’un de meilleur qu’eux.

·         Pour réagir contre la tiédeur en vue d’un remède : A. M. Zaccaria exhorte et encourage ses fils et filles à « fuir le danger de tomber dans la tiédeur »[xv] Pour cela, il propose, dans son sixième Sermon, la voie de la crainte de Dieu, de la méfiance envers soi-même et de la séparation d’avec la tiédeur. Et au dix-huitième chapitre de ses Constitutions il définit les qualités d’un bon réformateur, à qui il donne cette consigne : « Sans orgueil et sans présomption...mais avec audace, tu élèveras la Croix le plus puissamment possible pour détruire la tiédeur et restaurer la discipline religieuse ». Il faudra alors une stratégie au réformateur car la tiédeur n’est pas facilement curable. Ainsi le fondateur met-il en évidence huit qualités que ses filles et fils s’efforcerons d’observer pour être des bons réformateurs des mœurs, et particulièrement de la vie religieuse. Il s’agit :

-    du discernement qui ouvre à la prudence,

-    du courage et de la générosité pour vaincre et surmonter les contradictions des démons invisibles et visibles (les tièdes).

-    de la persévérance dans ce que l’on entreprend au point de ne pas se réjouir quand on réussit et s’attrister quand on échoue, mais plutôt demeurer dans la constance du cœur. Celle-ci plait à Dieu.

-    d’une humilité profonde permettant l’acceptation des humiliations et rendant affable la compassion et l’acceptation d’autrui. Ceci est une aptitude de la réforme.

-    d’une méditation et une oraison continuelles car elles apportent la lumière sur la manière de conduire les autres dans le progrès.

-    d’une intention très bonne et très droite, l’accent étant mis sur le superlatif même. Cela ouvre à la bonne volonté qui, avec l’intention droite, constitue une puissance pour pouvoir opérer une réforme.

-    du progrès dans la perfection car « ne pas avancer c’est reculer » et pourtant « les cimes de la perfection sont infinis ». Un bon réformateur ne devra pas seulement changer les mauvaises mœurs ou reformer les bonnes, bien plus, il doit les conduire à la perfection.

-    d’avoir toujours confiance dans le secours divin. L’on réalisera alors par expérience que Dieu n’abandonne jamais les siens, même s’il faille du temps pour répondre.

Le fondateur peut alors donner cette recommandation : « Si tu veux commencer à fuir la tiédeur, emploie le marteau de la peur contre la fausse confiance ; si tu veux faire des progrès dans son extirpation, désire la vertu pour elle-même sans attacher un regard à la récompense ; si tu veux la tuer complètement, désire, par amour pour le Christ, tous les opprobres et toutes les épreuves »[xvi]

Ce triple cheminement, commencer-extirper-tuer, exige un procédé progressif qui consiste dans le retranchement d’un vice chaque jour, jusqu’à guérir la plaie de la tiédeur. Cela demande donc une attention à pouvoir faire quelque chose de plus chaque jour tout en se mortifiant de la convoitise et de la sensualité même dans ce qui est permis.[xvii] En outre, si la distinction des préceptes et conseils sert d’alibi à certains pour rester dans la tiédeur, elle peu à contrario être un antidote à cette même tiédeur dans la mesure où l’on s’en tient à commencer par observer même le moindre des conseils pour aboutir aux préceptes. Ainsi « Celui qui veut fuir le danger de pécher contre les préceptes doit nécessairement observer les conseils »[xviii].

 

En somme, Saint A. M. Zaccaria montre que la tiédeur est un problème central de la vie chrétienne, car elle s’attaque à l’identité même du chrétien. C’est donc une négation de soi dans la mesure où le tiède est un chrétien et ne l’est pas vraiment. Il l’est de manière formelle du fait de son appartenance et de sa participation. Cependant fondamentalement il s’en éloigne. L’on comprendra alors pour quoi le tiède de Zaccaria correspond au pharisien contre lequel s’insurge Jésus dans l’Evangile.

 

La vocation réformatrice des Barnabites est donc un appel à mener une lutte acharnée contre la tiédeur, ennemi du progrès et de la Sainteté. Et pourtant leur Fondateur désire bien qu’à leur fin ultime ils soient des « grands saints ». Et grand saint, on le devient par cette ascension vers la perfection à travers cette méthode progressive de l’élimination de la tiédeur. Une méthode qui indique clairement que le mouvement d’une parfaite reforme part de l’intérieur de soi, d’où sortent des rayons éclaires qui se déploient pour illuminer ensuite l’humanité tout entière.

 

4° Une vie d’apostolat intense :

Tout l’apostolat des Barnabites est marqué par cet idéal d’un engagement dans la réforme des mœurs. Ils sont pour cela reconnu comme collaborateur des évêques à travers le ministère de la parole et les sacrements. Et en tant que religieux, ils annoncent le Christ et son Evangile par le témoignage de leur vie à travers les conseils évangéliques. Ainsi, la vie religieuse des Barnabites est entièrement imprégnée d’esprit apostolique et leur action apostolique est entièrement animée par l’esprit religieux.[xix]  En ce sens, la vie religieuse et l’action apostolique sont pour les Barnabites comme les deux ailes d’un même et seul oiseau. Leurs diverses formes d’apostolat se conforment et tiennent compte des besoins   et des désirs de l’Eglise, en même temps que des attentes du monde, tout en maintenant les traditions de la congrégation. Ces traditions engagent les Barnabites dans la recherche d’une constante authenticité évangélique en eux-mêmes comme aussi dans leurs moyens d’apostolat. Elles les engagent en outre dans une mise en valeur des nouvelles formes d’action que le temps, les circonstances et l’Esprit peuvent inspirer.

C’est dans cette perspective qu’on trouvera une variété d’activités apostoliques avec lesquelles les Barnabites ont pu écrire leur histoire au cours des siècles. Ces activités visent toujours une mise en pratique du charisme barnabitique qui s’actualise et s’inscrit continuellement dans et selon les réalités du moment et de la société sans pourtant se modifier fondamentalement. Aujourd’hui les activités apostoliques des Barnabites peuvent être classées dans des vastes champs apostoliques, mais il faut retenir qu’elles ne peuvent pas y être enfermées, car en tant qu’œuvres sous l’égide de l’Esprit Saint, elles sont toujours ouvertes à des nouvelles inspirations.

De ces vastes champs apostoliques, citons l’apostolat dans les paroisses et les maisons des ministères où ils participent activement à la réalisation de la pastorale ecclésiale et à l’édification et le murissement spirituel non seulement des chrétiens mais de tous les hommes dans la société, surtout à travers la prédication, l’administration des sacrements et l’entretiens des maisons d’exercices spirituels ou maisons de retraite.

Par ailleurs, les barnabites s’occupent de l’encadrement de la jeunesse surtout à travers l’organisation de l’Oratoire et la formation ou l’enseignement dans les écoles. Evoquons aussi l’apostolat missionnaire par lequel les Barnabites, à l’imitation de l’Apôtre Saint Paul, vont à travers le monde pour apporter la Bonne Nouvelle du salut. C’est grâce à cette activité qu’ils vont toujours à la conquête du monde avec la création ou la fondation des nouvelles missions où ils n’exercent pas encore. Signalons aussi l’apostolat des malades par l’encadrement et l’accompagnement des structure de santé dans les paroisses.  On notera également d’autres types d’apostolat telles diverses aumôneries, et c.

 

 



[i] Zandu Imelda (Congrégation des Filles de la Divine Providence de Créhen), «Le charisme et la spiritualité de la vie consacrée», Session sur la Vie religieuse animée à Libreville au Gabon pour les Supérieures des communautés, du 1er au 6 avril 2008. Cf. http://www.ayaas.net/vr/iza.htm

[ii] Idem

[iii] Même si sa mort en 1539, le Fondateur avait laissé une ébauche des Constitutions, les premières Constitutions officielles des Barnabites datent de 1579, et elles ne seront révisées qu’en 1983 suite à la demande implicite du Concile Vatican II, qui a proposé des nouvelles perspectives pastorales auxquelles les congrégations devraient s’adapter tout en restant fidèles à leurs charismes originels respectifs (Cfr Constitution n°6). A titre d’exemple nous pouvons citer la Constitution sur l’Eglise Lumene Gentium qui, insistant sur la vocation universelle à la sainteté et la participation de tous les fidèles à la mission de l’Eglise, a incité les Congrégations à redéfinir leur identité et leur mission dans l’Eglise d’aujourd’hui. Le décret Perfectae Caritatis, concernant spécialement la vie consacrée, a invité les congrégations à une actualisation de leur vie religieuse en s’adaptant en s’adaptant aux signes des temps et en mettant en valeur les aspects essentiels de leur charisme.

[iv] Constitutions n°7

[v] Galates 2, 20

[vi] Constitution n°17

[vii] Idem n°16

[viii] Cf. Antoine Marie Zaccaria, Sermon IV ; Lettre II et Lettre V. voire Constitution n°23-25.

[ix] Constitutions n°9

[x] Saint Antoine Marie Zaccaria, Lettre 5

[xi] Cf. Antonio M. Gentili. Giovanni Scalese, Lexique pour l’Esprit (Apunto per lo Spirito), Enseignement spirituel et ascetique de Saint Antoine Marie Zaccaria, Milan, Ancora, 1994

[xii] Giovan Paolo Folperto, Dir., Detti notabili raccolti da diversi Authori, Per il Rever. Padre Antonio Maria Zaccharia da Cremona. Opera devotissima, et molto utile a chi desidera far profitto nelle cose del spirito, et governar l'anima sua secondo il voler Divino, n°27, 1,  1ère éd., Venetia, 1583. (Œuvre attribuée à A. M. Zaccaria, mais publié 44 ans après sa mort et dont les manuscrits ne sous sont pas parvenus pour en attesté l’authenticité).

[xiii] Constitutions du fondateur n°9

[xiv] Les deux dernières distinctions sont déduites des écrits d’A. M. Zaccaria et ceux de son directeur spirituel Fra Baptista Da Crema.

[xv] Lettre 11

[xvi] Detti notabilli, 27, 22-23.

[xvii] Lettre 11.

[xviii] Sermon 6

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