Lecture
du concile de Jérusalem Et le conflit d’Antioche
(Ac 15 et Ga 2).
par Bienvenu Marie BISIMWA LUHIRIRI, Barnabite
(Cf. Trompette du Réveil. Revue du Scolasticat Saint Alexandre Saüli des Père Barnabites n° 4, Kinshasa 2010)
INTRODUCTION
Nous sommes en
face de deux textes bibliques, Ac 15 (spécifiquement les versets 1-35) et Gal 2
rapportant un événement marquant dans la connaissance et la compréhension de la
dynamique vitale de l’Eglise, à l’aube de son existence. Ces textes nous
parlent de l’attitude de cette Eglise devant ses premiers problèmes internes.
Si ces problèmes doivent nécessiter une rencontre réunissant les piliers mêmes
de l’Eglise dans la recherche d’une issue, l’on ne peut nier de leur gravité.
N’est-ce pas,
d’ailleurs, pourquoi cette rencontre est considérée aujourd’hui comme le
premier concile de l’Eglise vue son ampleur et l’importance des gens qu’elle
réunit ? En fait, elle porte aujourd’hui le nom de Concile de Jérusalem.
La
manière dont les apôtres, eux qui ont vécu avec le Christ, perçoivent et résolvent
le problème reste une lumière pour nos communautés ecclésiales aujourd’hui. Cela,
particulièrement pour les communautés de vie religieuse ou consacrée, au sein
de l’Eglise, confrontées à des situations similaires à celle de l’Eglise
naissante, elles qui doivent être ouvertes à toutes les nations, langues et
peuples en vue d’une vie d’ensemble : celle des enfants de Dieu.
Face
à cette ouverture, la question de toujours, qui est aussi celle de la première
communauté chrétienne réside dans l’harmonie au sein de la communauté au point
que de la multiplicité on en arrive à l’unité
et que de la diversité l’on aboutisse à l’unicité[1].
Comment arrivé à former un corps où tous les membres co-agissent dans une
reconnaissance et une entraide mutuelle en assumant chacun ce qui lui est
dû ? Comment assurer l’unité de la communauté dans la complémentarité de
ses membres, faire de tous les membres des vrais frères et lui assurer ainsi la
vitalité et la viabilité selon l’idéal évangélique même. Comment accepter les
différences comme particularité de chacun dans une vision communautaire unique ?
Le
choix de ces deux textes bibliques (Ac. 15 et Ga. 2) est pour nous déterminant
pour comprendre comment les anciens de l’Eglise ont résolu leurs problèmes de
base en vue de promouvoir la vie communautaire et faire prospérer l’Evangile du
Christ.
Structure
des textes
En
effet, mis ensemble, les deux textes nous donnent un certain cheminement auquel
nous tacherons d’être fidèle dans notre travail d’interprétation :
Le point de départ est la naissance
des conflits dans la communauté d’Antioche opposant des judéo aux
pagano-chrétiens. Un groupe des chrétiens issus du pharisaïsme cherche à
imposer aux pagano chrétiens la loi de Moïse, en l’occurrence la circoncision,
comme clé d’accès au salut chrétien. Mais ceci ne rejoint pas l’enseignement de
Paul et de Barnabé, les deux apôtres d’Antioche de Pisidie. C’est le moment de
la discussion à Antioche (Ac. 15, 1-2).
Le problème est grave car il touche l’unité du christianisme, il faut
réajuster les choses. Une rencontre est alors convoqué à Jérusalem. La
délégation de la communauté antiochienne est conduite par Paul et Barnabé qui
sont bien accueillis et écoutés par les apôtres et les anciens, à leur arriver
à Jérusalem. C’est l’étape du voyage vers Jérusalem (Ac. 15, 3-4). Vient alors concile
proprement dit. Les pharisiens sont d’abord écoutés et leurs propos passe sous
examen des apôtres et anciens (Ac. 15, 5-6). Puis Pierre prend la parole et
expose la volonté de Dieu sur les juifs comme sur les païens (Ac. 15, 7-11).
Ensuite Paul et Barnabé apportent le témoigne de la grâce divine chez les
pagano-chrétiens (Ac. 15, 12). Après eux, Jacques, le président de la
rencontre, tourne l’attention vers la communauté de table tout en soutenant
Pierre (Ac. 13-21). Viennent enfin les décisions du concile devant être lues à
Antioche par une délégation issue de la rencontre (Ac. 15, 22-29). Le message
est bien accueilli à Antioche (Ac. 15, 30-35), et quelque temps plus tard Paul
et Barnabé se séparent sous tension. (Ac. 15, 36-41). Quant à Galates 2, Paul
commence par évoquer sa rencontre à Jérusalem avec les anciens où les tâches
sont départagées et la circoncision non exigée (Ga. 2, 1-10). Puis il raconte
sa résistance en face de Pierre, ce dernier s’étant retenu de manger avec les
païens, jusqu’à entraîner beaucoup d’autres parmi lesquels Barnabé, à cause de
l’arrivée des juifs de l’entourage de Jacques (Ga. 2, 11-14). Et il finit par
son argument sur la justification par la foi (Ga. 2, 15-21).
Il faut dire
que Ac. 15 met l’accent sur le déroulement de la rencontre de Jérusalem tandis
que Ga. 2 évoquant la rencontre de Jérusalem insiste plutôt sur le différent
entre Pierre et Paul à Antioche. Les deux événements ont pourtant une même visée :
l’idéal évangélique conformément à la volonté de Dieu. En effet la déclaration
de Pierre et Jacques à Jérusalem (Ac.) est en accord avec celle de Paul à
Antioche (Ga.) et les trois sont centrées sur la justification par la foi et
non par la loi. Les deux textes peuvent donc être analysés dans une même
perspective étant donné qu’ils ont manifestement une même visée, c'est-à-dire
le retour à l’idéal évangélique. C’est la raison pour laquelle nous allons les
considérer comme faisant un tout.
Cependant,
il convient de souligner que non seulement les deux textes ne proviennent pas
d’un même auteur, quoique Luc soit disciple de Paul[2],
mais aussi ont été écrits dans des contextes différents.
D’ailleurs, la question de
l’antériorité de l’incident[3]
d’Antioche (Ga.2, 11 ss) au concile de Jérusalem (Ac. 15) se pose aujourd’hui.
En effet, certains exégètes avancent que c’est l’incident d’Antioche qui va
chercher solution dans la rencontre de Jérusalem qui est présidée par Jacques,
Pierre étant probablement absent. Ce dernier aura juste le compte rendu de la
rencontre. Selon cette même hypothèse, il y aurait eu deux problèmes différents
que Luc a ramenés à une même rencontre alors qu’ils n’ont pas été traités au
même moment. Elle suggère que la question de circoncision s’était posé avant et
elle avait déjà trouvé la réponse (probablement quand Pierre et Paul se partage
la mission à Jérusalem : Paul prend les gentils et Pierre les juifs),
c’est pourquoi les décisions du concile de Jérusalem portent plutôt sur la
communauté de table, comme réponse à l’incident d’Antioche.
C’est
donc sans ignorer cette critique que nous optons de suivre le canevas ci-après :
d’abord le conflit d’Antioche suivi de la rencontre de Jérusalem et enfin
l’incident d’Antioche.
Toutefois, notre
préoccupation dans la présente réflexion est non dans la critique rédactionnelle, mais dans le
conflit même et la manière dont il est résolu par nos premiers pères dans la
foi chrétienne. Ce qui se pose comme une
option réformatrice de la vie communautaire dans notre société actuelle.
Cela s’adresse davantage et de façon particulière aux communautés de vie
religieuse, surtout en cette heure post synodale. Heure pendant laquelle la XVII Assemblée des
Supérieurs Majeurs de la RDC
(ASUMA) en appelle à une réflexion sur le thème de « Gestion et
mission ». Leur message stipule que cette mission, qui s’inscrit dans
celle de l’Eglise, une et sainte (n° 7), vue dans l’angle de la gestion,
devient un rappel « de façon brutale que l’avènement du Royaume de Dieu dans
le contexte qui est le nôtre se vit et se fait à travers la lutte perpétuelle
contre la violence et l’arbitraire, contre le virus de l’exclusion des autres
par le tribalisme et les confréries fondées sur l’intérêt égoïste, contre
l’injustice et les discordes de toutes sortes ».[4]
Autrement dit, cet avènement se vit dans la promotion de la vie communautaire.
Et cela sur tous les plans et dans toutes les couches de la société.
Dès
lors que cette promotion se pose comme une condition, réfléchir sur une manière
d’instaurer la cohésion face à une communauté en crise, telle la communauté
d’Antioche, devient une urgence et un apport pour une vie communautaire
bienséante.
La
présente réflexion, loin d’être une exégèse biblique, est une herméneutique sur
le conflit et sa résolution dans la communauté chrétienne à la lumière des
textes bibliques. Ainsi, outre cette introduction, je m’attarderai sur la
situation de la rencontre, sur le choc qui en résulte et sur l’urgence de
reforme qu’elle engendre au regard du concile de Jérusalem. Ensuite je parlerai des risques de
relativisation à la lumière de l’incident d’Antioche pour finir avec une
concise conclusion.
- SITUATION
DE LA RENCONTRE
a.
Le début d’une
communauté
Il me semble
que c’est opportun de commencer par situer le cadre de l’événement faisant
objet de notre réflexion. Il faut donc au préalable saisir les éléments qui
entrent en jeu pour qu’on en arrive à la
rencontre de Jérusalem.
Tout commence avec l’avènement
Christ par lequel le divin vient à la rencontre
de l’homme. C’est l’initiative de Dieu mais qui demande la réaction de l’homme
pour qu’il y ait effectivement rencontre. En fait, différentes attitudes
peuvent être observées lors d’une rencontre :
·
Soit
une attitude d’accueil, réception ou acceptation et ici s’ouvre une relation
intersubjective harmonieuse,
·
Soit
une attitude de rejet ou de refus qui brise toute possibilité d’ouverture de
l’un à l’autre et engendre un conflit entre les sujets.
Pour ce
dernier cas, l’autre qui vient vers moi, devient une menace, un danger à
écarter. Tandis que dans le premier l’autre est perçu comme mon complément.
C’est toute la différence dans l’altérité chez Sartre et chez Gabriel Marcel.
Avec
l’avènement Jésus-Christ, l’on est directement confronté aux deux attitudes :
l’ouverture des nations exprimée dans l’image des mages, et le rejet par les
siens dont la figure et la réaction de Hérode est une vive expression. Il est
important de remarquer le lien étroit qu’il y a entre l’avènement du Christ
lui-même et l’avènement du Christianisme : les mages viennent à la
rencontre du Messie comme le feront les païens et le Christ naissant est
rejette par Hérode comme les feront les autorités religieuses juives pour le
christianisme naissant.
·
Question
d’unité communautaire :
Au début, une
sorte de confusion règne entre le judaïsme et le mouvement conduit par les
Apôtres et mu par l’Esprit Saint légué par le Christ. Toutefois le conflit
d’Antioche advient quand la question sur l’évangélisation des païens et des
juifs est déjà résolue. Képhas à la charge d’annoncer la Bonne Nouvelle aux juifs tandis
que c’est à Paul qu’il appartient d’évangéliser les gentils.
Faisant face à
la diversité des maîtres, les communautés chrétiennes, puisque appartenant toutes
au Christ, éprouvent le besoin de l’unité,
- je dirais formelle – entre les communautés sous charge de Pierre et celles
sous charge de Paul. Non c’est plutôt le besoin d’uniformité. Ceci est en fait
une cause lointaine du conflit qui nécessitera une certaine définition du christianisme
par rapport au judaïsme. Par ailleurs, Paul semble affirmer du problème de
division au sein de l’Eglise quand il dit que l’Evangile n’est pas à lui, ni à
Pierre, ni à quelqu’un d’autre mais il appartient bel et bien au Christ.[5]
Ces juifs n’ont-ils pas, peut-être, été poussés par ce besoin d’unité
ecclésiale pour influencer les chrétiens de la gentilité à se conformer aux
exigences mosaïques, en l’occurrence la circoncision ? Pourrait-on pour ce
faire dire qu’ils sont plus marqués par l’origine culturelle de leur maître que
son enseignement ? Ou alors qu’il sont plutôt fanatiques et non convaincu
de leur foi ? Autant des questions qu’ont peut se poser sur les sentiments
qui guident l’action de ces judéo-chrétiens à l’égard de leurs frères dans la foi.
- Question
d’identité chrétienne :
Le conflit
d’Antioche est une conséquence culturelle de la mission évangélique. Le Christ,
envoyant ses disciples, leur demande d’aller dans le monde entier, y prêcher la Bonne Nouvelle du salut, et
faire de tous les hommes des disciples en les baptisant au nom du Père et du
Fils et du Saint Esprit.[6]
Le christ démarque par cette mission même le christianisme du judaïsme. En
effet, il change le symbole d’identité juif qui est la circoncision (à laquelle
il ne fait même pas allusion) et met à la place le Baptême. Le christianisme
devient l’apanage de tout homme qui met sa foi dans le Christ. Et à travers
lui, en Dieu[7].
Ainsi ouvert à tous les hommes, tributs, langues, peuples et nations, le
christianisme se révèle être universel dès le moment même de sa constitution.
C’est
cette démarcation ou rupture d’une certaine façon entre le christianisme
naissant et le judaïsme qui n’est pas bien perçue par les judéo-chrétiens. On
dirait, le souci d’un parent qui voit son enfant commencer à prendre distance
de lui.
- Question
de dépassement des limites culturelles :
On
le sait bien le christianisme est né dans un contexte juif de l’attente du
messie. Et si ce dernier doit venir, ce n’est pas pour concilier les juifs avec
d’autres nations, moins encore pour prêcher l’amour des ennemis, comme le
Christ le fait, mais pour assurer la liberté et la domination juives sur les
nations du monde. Dans cette perspective, si le Christ est le messie, au vue
des judéo-chrétiens, il y a de quoi soumettre les pagano-chrétiens aux
exigences juives. En effet, un adage shi dit que l’on ne se bat qu’avec l’arme
dont on dispose.[8]
Si le Christ est venu plutôt avec une force religieuse et pas politique, les
judéo trouve mieux d’affirmer par là leur supériorité religieuse sur les
autres. Il faut alors que ces derniers se soumettent à la loi de Moïse pour accéder au salut.
Cependant,
l’autorité du Christ n’est pas de ce monde.[9]
Et Paul l’a bien compris. C’est pourquoi il oppose résistance à l’exigence de
la circoncision. Il faut alors en finir avec les différents en vue de
l’harmonie et de la conformité à l’enseignement du Maître. C'est-à-dire en vue
d’un christianisme à la lumière du Christ lui-même. Raison pour laquelle une
rencontre entre les chrétiens juifs et ceux de la gentilité est envisagée sous
la direction des apôtres, piliers de l’Eglise et témoins auriculaires du
Christ.
- LE CHOC
DE LA RENCONTRE
On peut lire
au travers du texte quelques lignes qui marquent le problème opposant les
chrétiens juifs aux chrétiens de la gentilité. Ainsi donc, si on ne peut
reconstruire la situation conflictuelle des deux communautés chrétienne, jusque
dans les petits détails, on pourra quand même ressortir l’essentiel du
problème.
D’ailleurs
les détails nous amèneraient sur un débat exégétique qui traite des rapports
entre Ac. 15 et Ga 2. Ici les hypothèses sont nombreuses. Evoquons, à titre
d’exemple celle de Jacques Dupont qui rassemble en quatre sections les
propositions importantes sur la question, tout en optant lui-même pour la
quatrième[10].
Il s’agit de :
- celles
ne reconnaissant aucune correspondance entre Ga 2 et Ac. 15
- celles
faisant correspondre Ga. 2 et Ac. 15, 3
- celles
faisant correspondre Ga. 2 et Ac. 15, 4
- celles
proposant l’égalité entre Ga. 2, Ac 11 et Ac. 15
Pour ce qui est de sa préférence de la
quatrième section, Dupont précise que s’agissant de choisir une date pour la
rencontre évoquée par Ga. 2, avant (= Ac. 11) ou après (= Ac. 15) le voyage
missionnaire présenté en Ac. 13-14, il opte pour la première hypothèse. Il
trouve également évident que Luc ait fusionné deux événements différents en Ac.
15. Le premier est celui de la question concernant la circoncision et le second
concerne la question de la communauté de table. Pour l’exégète P. M. Buit,
les indices littéraires amènent à diviser le concile de Jérusalem en deux
périodes distinctes : l’une vers 49-50, dominée par Pierre, portant sur la
question du salut, dans une théologie du Christ et de l’Esprit. L’autre après
52 et avant 58 dominé par Jacques qui traite des questions pratiques concernant
la communauté, dans un esprit de légalisme intelligent et pacifique, alors que
Paul est en Asie mineur, en Grèce et en Macédoine et en apprend les résultats à
son retour en 58.[11]
Ainsi pensé, le concile de Jérusalem
devient un montage de Luc basée sur deux événements différents dont la réalité
est cependant incontestable. Voilà pourquoi nous choisissons une lecture plutôt
synchronique de ces textes.
1.
Quelques
possibilités de rencontre
o
une rencontre
promotionnelle :
c’est la rencontre Dieu-homme :
elle est liée à l’être-là de l’homme en tant que créature appelé au salut. En
faisant exister l’homme, Dieu le place en face de lui : il le rencontre en
le créant. Cette rencontre trouve son sommet dans l’incarnation du Fils de Dieu
par laquelle la nature divine entre en dialogue de situation avec la nature
humaine. Dès lors, cette rencontre se passe de tout complexe d’infériorité ou
de supériorité : elle est abaissement de Dieu au rang humain (voir phil.
2, 5-11) et élévation de l’humain au rang divin (Saint Irénée). Ce qui en
résulte, c’est une sorte de co-fusion humano-divine : une corrélation, une
harmonie et non un conflit. Désormais
Dieu vit en l’homme, avec la venue de l’Esprit-Saint, et l’homme en Dieu. C’est
la communion entre l’homme et Dieu que le Catéchisme
de l’Eglise Catholique exprime dans l’expression « la vie dans le
Christ »[12].
Notons qu’il s’agit ici de la volonté de l’un qui appelle l’adhésion volontaire
de l’autre. L’un prend l’initiative d’aller vers, et l’autre y répond par
l’accueil.
o
La rencontre
conflictuelle : c’est
une rencontre qui peut surgir aussi bien d’une que des volontés des partenaires
mais au cours de laquelle chacun vise ou tient à viser ses propres intérêts.
Cette rencontre se joue donc sur un complexe d’inégalité, source de toute
injustice sociale. C’est alors que règne la loi de la jungle où le plus fort
s’affirme en écrasant les autres. Une société ainsi bâtie – sur des intérêts
personnels – est de gré ou de force vouée à la décadence.
o
La rencontre
au hasard :
la locution « au hasard » est en elle-même un défis au déterminisme
ou à la prédestination. L’on ne cesse de s’interroger sur le cour des événements :
ce qui nous arrive est-il un destin ou un hasard. Destin est à comprendre ici
comme un programme déjà là. Et pourtant on parle par ailleurs d’accident de
parcours pour marquer le hasard. De cette rencontre peut résulter soit le
conflit, soit la cohabitation selon que l’autre se présente comme
« l’autre-de-moi-même » et qui me complète ou encore comme
« celui qui vient prendre ma place ».
Partant de ce
qui précède, il y a de quoi se poser la question sur ce qui se passe à Antioche
pour nécessiter une rencontre des anciens et les apôtres à Jérusalem. Qu’est-ce
qui est à la base du conflit ? Ou du moins, qu’est-ce qui cause problème
et quel est ce problème ? Autrement dit, le conflit découle-il de la
rencontre avec le Christ, pour dire que c’est un problème de fondement, ou de
la rencontre entres frères dans la foi ? Dans ce dernier cas, ne s’agit-il
pas d’une xénophobie ? Et pourquoi se battrait-on pour un même
idéal ?
Telles sont
autant des questions qui demandent de sonder le texte en lui-même.
2.
Le problème
d’identité :
L’identité
aussi bien individuelle que collective se dit de ce que l’on est en particulier
et à la différence des autres. Elle peut être acquise. C’est d’ailleurs ce qui
arrive aux disciples du Christ qui, par leur adhésion même, devienne des
chrétiens. En effet, tout « devenir » suppose un passage d’un état A
(dans lequel on se trouve) à un état B (dans lequel on veut se retrouver).
Notons que l’état A est déjà celui par lequel on est distinctement
reconnaissable et il marque, par conséquent, l’identité de celui qui s’y
trouve. L’état B est un état de potentialité. Toute progression ou évolution
est marqué par les deux états dont la première est la « situation »
et la seconde le « devenir » au sens philosophique des termes. Le
passage de A vers B implique que le potentiel d’hier devienne la situation d’aujourd’hui
pendant qu’un niveau potentiel se dessine. La situation d’hier constitue alors
le passé. Il en va ainsi de l’identité individuelle ou collective
(sociale). C’est de cette manière que la croissance de l’homme s’explique par
exemple. Le même enfant d’hier est le jeune d’aujourd’hui qui deviendra vieux
demain. Si donc on ne peut remettre en cause l’identité ontologique du même
homme qui naît et grandit, l’on ne peut, non plus, lui refuser les changement
d’identités selon les différentes étapes de sa croissance, selon les
différentes situations par lesquelles il passe, selon les différents états
caractéristiques de sa vie. C’est seulement dans cette optique que l’on peut
dire que Saul de Tarse a changé en Paul
converti : du persécuteur qu’il était, il devient le défenseur de la foi.
L’on comprend
dès lors que mon identité peut se décliner comme ce que je suis par rapport à
ce que j’étais et en vue de ce que je devient ou voudrais devenir. C’est ici
que se joue tout le problème de la reconnaissance de l’identité de soi par
rapport à celle des autres. Il y a lieu que l’on s’identifie plutôt à ce qu’on
a cessé d’être ou encore à ce qu’on prétend devenir. C’est le problème de
l’acceptation de soi qui implique de facto celui de l’acception d’autrui.
S’accepter soi-même c’est accepter également l’autres en considérants ses
propres capacités et limites et celles d’autrui.[13]
Sinon c’est le complexe d’infériorité ou de supériorité qui se développe et
tout se joue soit à la défensive, soit à l’offensive. L’on devient alors
menaçant ou agressant en face de l’autre.
Ce problème
d’identité est justement ce qui oppose les judéo des pagano-chrétiens. Avec
leur monothéisme strict, les juifs sont convaincus de leur supériorité dans la
foi par rapport à toutes les autres nations qui n’ont que des idoles comme
divinités. C’est pour cette raison qu’ils les considèrent comme des impies, des
« paganus », des idolâtres. Ils trouvent mieux d’appeler les autres
des incirconcis pour marquer leur infériorité et ainsi les exclure de la
communauté des enfants de Dieu. A l’heure du christianisme, les juifs ne veulent
pas encore abandonner leur ancienne conviction. Il est évident pour eux que si
le Christ lui-même a suivie le chemin de la Torah[14],
il y a rien de plus normal que les païens appelés à la foi chrétienne passe
d’abord par le judaïsme. C’est donc un complexe de domination qui les anime.
Les juifs
mettent donc leur référence plus dans le passé qu’ils ont du mal à percevoir la
ligne de démarcation entre leur ancienne identité centré sur la Torah et la nouvelle dans
laquelle le centre se déplace vers Christ. Les judéo-chrétiens restent donc
enfermés dans leur ancienne identité qu’ils courent le risque de déformer le
message de leur Maître.
3. Le problème de privilège
« Parmi
les égaux, il y a les plus égaux », dit-on. Le problème des privilège se
traduit parfois comme préférence et celui-ci fini par dégénérer en complexe de
supériorité pour le privilégié ou d’infériorité pour le non privilégié. Déjà
dans le chef des apôtres ce conflit se posait : ils voulaient savoir qui
parmi eux était le plus grand ? Cette préoccupation ne concernait pas du
tout l’âge, sinon la réponse serait automatique et ne demanderait pas
l’interpellation du Christ : celui qui veut être grand, qu’il se fasse le
serviteur des autres. C’est plutôt une question de pouvoir. Et le pouvoir va de
paire très souvent avec le privilège.
Au complexe de
supériorité de l’identité religieuse des judéo-chrétiens, s’ajoute celui de la
préséance dans l’histoire du salut. C’est par eux que le salut est venu au
monde en Jésus-Christ.[15]
N’ayant pas encore bien intégré les différences (compléments) introduites par
le Christ, les judéo-chrétiens pensent que la porte d’entrée dans le
christianisme se trouve dans le judaïsme.
4.
Le trafique
d’influence.
Face aux deux
attitudes juives, la résistance des pagano-chrétiens est encore considérable.
Ceux-ci, sous le patronage de Paul lui-même, voient déjà plus clairement que
les judéo-chrétiens la nouveauté apportée par le Christ. Etre chrétien n’est
pas justifié par la conformité à la loi mais par la foi en Jésus. Ainsi
réfutent-ils l’exigence de la circoncision par exemple.
De leur coté,
les judéo-chrétiens visent à faire passer leur conviction. Ils entreprennent
alors le trafic d’influences : il faut convaincre à tout prix les
autres ; nier leur passibilité de salut en dehors des exigences de la loi
de Moïse, en l’occurrence la circoncision. En effet, le trafic d’influence est
un instrument dont on se sert pour détourner malicieusement l’intention de
l’autre. Il vise la fragilisation et la soumission de l’autre. Il s’exprime le
plus souvent par des corruptions ou contraintes morales, psychiques, voir même
physiques ou économiques de manière à séduire, réduire et obliger l’autre.
C’est donc une force de répression pour soumettre l’autre. Pour fragiliser son
adversaire, le trafiquant d’influence commence par diviser le camp adverse et
dans la mesure du possible opposer les membres de leur leader. C’est la
politique du « diviser pour régner ».
5.
La perte de
l’idéal
On le voit
bien à travers Ac. 15, 1, comme il en est par ailleurs du chapitre septième et
huitième de l’Evangile de Saint Jean, que les juifs, appelés à être chrétiens,
mette beaucoup d’importance en leurs ancêtres qu’ils ont tendance à mettre
Abraham, Jacob ou Moïse devant ou à la place de Jésus. Et pourtant après la
résurrection le Christ se présente comme le sommet de la révélation et le
réalisateur du Salut, en plus d’être le Fils de Dieu. Saint Paul ne dit-il pas
que la croix du Christ est notre salut. Les chrétiens d’origines juives qui
sont allés trafiquer l’influence à Antioche, mettent la loi de Moïse au devant
de Jésus. Ils méconnaissent le pouvoir rédempteur du christ en dehors de la loi
de Moïse. Ils mettent le Christ au servie de cette loi. Ils ont perdu l’idéal
de leur foi.
L’idéal
s’inscrit toujours dans la perspective de l’avenir. Il traduit, pas exactement
ce que nous sommes, mais que nous devons être. Il implique donc un effort
d’amélioration et un but-mystère à viser. C'est-à-dire un but qu’on ne pourrait
finir à atteindre. Comme qui dirait que plus on s’en approche, plus il se
révèle lointain ; plus on en a une vision claire, plus il devient
complexe qu’il ne cesse d’appeler toujours et toujours à l’amélioration, à
l’évolution, au progrès. Celui qui a un idéal ne peut donc jamais s’arrêter et
par conséquent, il ne peut non plus reculer.
Il apert de ce
qui précède que toute régression comme tout statuquo est une conséquence de la
perte d’idéal. Cette dernière devient le mot même pour dire toute dégradation
ou déchéance de l’humain : guerre, violence, viol, persécution,
esclavagisme, complexe, et c.
Peut-être me
demandera-t-on de l’élévation vers l’idéal et du complexe de supériorité
fustigé chez le judéo-chrétien à l’heure de l’Eglise naissante, du moins en
rapport avec la communauté d’Antioche ? Je répondrai que les deux ne sont
pas à confondre, l’élévation à l’idéal nous donne de nous assumer, et l’on ne
peut s’assumer qu’en s’acceptant, et s’accepter c’est admettre l’altérité. Autrement
dit m’accepter c’est inscrire l’autre dans mon projet de vie sans vouloir ni le
réduire à ce que je suis, ni l’assujettir. C’est plutôt par lui que l’idéal se
fait encore plus proche car en lui et par lui je découvre mes limites que lui
vient justement combler. En ce sens, vouloir réduire l’autre à ce que je suis,
c’est m’enfermer dans mes limites et freiner tout progrès. Ainsi, la communauté
qui devait progresser par la conjugaison de nos existences, s’effondre dans la
confusion des individus. C’est la cacophonie au lieu de l’harmonie
existentielle. L’instinct de domination veut supprimer l’authenticité des
personnes. Là on ne pourrait plus parler de communauté car le sens même de
communion ou complémentarité entres les membres ne plus perceptible. Telle est
la conséquence de tout complexe aussi bien de supériorité, où l’on nie l’autre en voulant s’affirmer, que d’infériorité où l’on se nie
en voulant affirmer l’autre.
Il faut donc
noter que toute prospérité communautaire réside dans le maintien de son idéal.
Et dès que ce dernier est perdu, c’est la décadence qui s’amorce. Dans ce cas
il faut urgemment une reforme rappelant à l’idéal pour sauver la situation.
Considérant
les éléments précédents qui ressortent de la situation de l’Eglise naissante,
l’on se rend compte de la gravité du problème. Il y a non seulement menace de
dislocation entre pagano et judéo-chrétiens, mais aussi risque de décadence du
christianisme. N’est-ce pas là une raison suffisante pour qu’une rencontre réunissant
les anciens, les apôtres et les acteurs du problème soit convoquée d’urgence à
Jérusalem ? Il faut en fait sauver la situation : il y a urgence de
reforme.
3. URGENCE DE REFORME
Il est vrai
que le Christ n’a pas laissé à son Eglise un code de vie bien notifié. Mais il
lui a laissé plus qu’un code, un système de vie bien vital. C’est l’Esprit
saint qui accompagne l’Eglise depuis l’aube même de sa naissance. Il est le
principe vital qui vivifie, illumine et guide l’Eglise à travers les âges. Les
décisions résultant de la rencontre de Jérusalem marquent elles-mêmes la
corrélation humano-divine dans l’Eglise. Ce qui fait que quand il peut y avoir
déchéance dans la partie humaine, la partie divine maintient l’équilibre
ecclésial et rappelle l’homme vers le juste chemin.
Nous venons
d’évoquer ci-haut le danger qui guette l’Eglise à peine naissance et l’urgence
qui s’impose de fixer et de clarifier la foi dans le Christ. En fait lorsque
quelque chose semble clocher dans la communauté il faut passer à la définition
et si elle existe déjà, il faut insister de nouveau ou la reformuler ou encore
revisiter ses termes en vue de rétablir l’harmonie communautaire. Telle est la
raison d’être de cette rencontre appelée communément Concile de Jérusalem et
considérée comme le premier concile de l’Eglise.
Cette première
rencontre ecclésiale du genre nous propose un schéma comme piste de résolution
des conflits au sein de nos communautés aussi bien religieuses que sociales. Si
notre précédant effort était de trouver le
mobile du problème dans la communauté d’Antioche, nous allons maintenant
ressortir, partant du texte même, les grandes lignes qui conduisent à la
résolution de ce conflit.
- La
conscience de l’existence d’un problème.
Le point de
départ pour toute résolution comme pour toute reforme est de prendre conscience
de l’existence d’un problème. Ceci est très important. C’est comme on dit que
comprendre la question est déjà une moitié de la réponse ou encore que
découvrir une maladie est déjà le chemin de la guérison. Sans conscience de
l’existence d’un certain problème ou d’examen sur la vie de la communauté dont
ont fait membre pour pouvoir découvrir ses failles, on stagne dans un
relativisme qui conduit au statuquo. C’est le signe d’inattention et de manque de
souci particulier pour le bien être du groupe.
L’on ne peut entreprendre résoudre un problème que quand on le
reconnaît. Convoquer une rencontre à Jérusalem résulte donc de la prise de
conscience du danger qui guette l’Eglise. Ceci prouve l’attention et le souci
du bien être que les membres (dirigeants) ont pour leur communauté.
- L’Esprit
d’écoute ou examen du problème
Seule l’écoute
nous permet de sonder le mystère de l’autre comme elle nous permet également de
saisir dans notre tréfonds la voie divine. L’esprit d’écoute est un élément
essentiel dans la phase de compréhension de la situation et permet, au lieu de
tâtonner, de savoir le vrai problème auquel il faut s’attaquer.
Cet esprit
d’écoute est très impressionnant dans la rencontre de Jérusalem et se structure
comme suit :
· La première
écoute est consécutive à l’accueil de la délégation d’Antioche conduite par
Paul et Barnabé. – l’accueil est un autre élément important dont il ne faut pas
se passer de vue : accueillir quelqu’un c’est l’approcher en prochain.
C'est-à-dire lui donner une valeur comme à soi même. – La délégation
antiochienne est accueillie par les Apôtres et les Anciens qui leur prêtent
oreille pour se saisir et entrer dans la dynamique vitale des chrétiens
d’Antioche. Ils ne sautent pas directement sur le problème pour lequel la
délégation est venue. Plutôt ils entre dans l’intimité des chrétiens d’Antioche
en écoutant leur situation vitale, en se saisissant avec attention de leur vécu
quotidien et ils insèrent la délégation dans leur intimité ; une façon de lui
dire qu’ils la reconnaissent comme membre de la grande famille chrétienne.
Attitude qui, certainement, rassure et sécurise la délégation. Ainsi, les
chrétiens d’Antioche se retrouvent chez eux à Jérusalem. Ils ne se sentent pas
discriminer mais intégrer dans la communauté accueillante. La frustration ne
trouve pas place chez eux et par conséquent la rencontre peut se faire à un
niveau fraternel ; plutôt qu’un procès, elle devient une palabre.
· Le second
moment d’écoute est pendant la rencontre proprement dite. Le souci majeur, nous
l’avons dit, est d’arriver à établir d’abord ce qui fait réellement et
exactement problème. Nous savons bien que la cause immédiate du conflit
d’Antioche est dans le trafic d’influence. Et donc écouter chacune des deux
parties en conflit, c’est donner à chacune de s’exprimer. Toute la dynamique de
la rencontre est alors traversée par l’expression des parties, l’écoute, la
critique et l’objection des Anciens et des Apôtres sous la mouvance de
l’Esprit-Saint. En voici la démarche :
o
Ecoute des
plaignants :
l’assemblée réunit dans la rencontre écoute d’abord les fauteurs des
troubles : un groupe des chrétiens juifs issue du pharisaïsme, qui s’est
rendu à Antioche pour imposer la circoncision aux chrétiens de là. Il faut
qu’ils disent, à l’assemblée, au clair et au mieux de quoi ils se plaignent.
o
Concertation
du jury :
ayant écouter les plaignant, les Apôtres et les Anciens, constituant le jury,
entreprennent de creuser davantage dans leur sagesse et leur connaissance de
l’essentiel de la foi pour se rendre compte de l’effectivité du problème. Ils
doivent éviter de se laisser tromper. Ils examinent par concertation et
profondément les éléments faisant objet
de plainte. Cet examen critique revient à la source de la foi chrétienne en consultant
l’idéal même de cette foi dans le but de saisir la volonté du Seigneur par
rapport à ce qui pose problème. Pierre est le premier à revenir au Christ. Il
fait remarquer le dépassement du judaïsme par le christianisme dans le
déplacement de l’accent de la culture vers la grâce. Selon lui, il y a une même
et unique grâce aussi bien pour les juifs – les dispensant du joug des
générations[16]
– que pour les nations par le don de l’Esprit Saint. Voici comment il articule
ses arguments.
"Frères, vous le savez: dès les
premiers jours, Dieu m'a choisi parmi
vous pour que les païens entendent de ma
bouche la parole de la Bonne Nouvelle
et embrassent la foi. 8 Et Dieu, qui connaît les
coeurs, a témoigné en leur faveur, en leur donnant l'Esprit Saint tout comme à
nous. 9 Et il n'a fait aucune distinction entre eux et
nous, puisqu'il a purifié leur coeur par la foi. 10 Pourquoi donc maintenant tentez-vous Dieu en
voulant imposer aux disciples un joug que ni nos pères ni nous-mêmes n'avons eu
la force de porter? 11 D'ailleurs, c'est par la
grâce du Seigneur Jésus que nous croyons être sauvés, exactement comme
eux."
[17]
Avec cette
intervention de Pierre le problème trouve un repère et une classification.
Implicitement il montre que c’est un faux problème car ne relevant pas de
l’exigence ou de la volonté divine. En outre les juifs eux-mêmes n’ont pas pu
supporter ce qu’ils veulent imposer aux autres. Avec l’intervention de Pierre,
l’on comprend déjà que les charges contre les chrétiens d’Antioche ne
pourraient être confirmées. Là l’originalité du christianisme est
confirmé : c’est par la même grâce que tous sont sauvés, libérés des poids
de leurs différentes cultures. Toutefois le conseil donne aux accusés de
s’exprimer en rapport avec la question.
o
Ecoute des
accusés : l’accusé
ou le présumé coupable s’exprimer normalement pour affirmer ou infirmer, dans
un premier temps, les charges qui lui sont imputées. Certes que sont camps constituant
la partie défense, cherche à se tirer d’affaire. De là on établie les faits, et
le présumé doit répondre, se justifier et donner la raison d’être de son acte.
A Jérusalem, les choses ne se passent pas de la sorte. En effet Pierre à déjà
apporter une lueur de lumière sur le prétendu problème : il a réfuté le
problème de circoncision et le texte reste muet, à ce point, sur la question de
la communauté de table qu’on va retrouver plutôt dans la conclusion[18].
C’est ainsi que Paul et Barnabé, les représentants de chrétiens de la gentilité
et particulièrement ceux d’Antioche, prennent la parole, non plus pour se
défendre ou justifier leur comportement, mais pour témoigner de la main divine
et des ses merveilles sur leurs communautés. Ce témoignage veut montrer que
l’idéologie véhiculée par ce groupe de judéo-chrétiens n’était pas une exigence
de la foi. La preuve en est que Dieu est bienveillant et sa grâce abonde chez
les pagano-chrétiens.
3.
La
réconciliation ou impératif d’un accord
Pour
trouver une issue convenable et favorable pour tous, afin de restaurer l’harmonie
communautaire, une conclusion contenant les termes ou décisions du concile
s’annonce importante. Mais afin que cela soit fait dans l’esprit même du
christianisme, il Faut Faire recours à la seul Volonté divine.
Jacques,
relisant l’enseignement du Christ, trouve dans la prophétie d’Amos[19]
une réponse. De là il déduit que l’évangélisation des païens est un
accomplissement de la prophétie et donc une réalisation du projet de Dieu. Il
soutient, en outre, Pierre dans sa précédente déclaration et ajoute qu’il ne
faut pas accumuler des obstacles devant ceux des païens qui se tournent vers
Dieu[20].
Jacques, se mettant à la place des païens, se réalise donc qu’ils fournissent
déjà un grand effort par le fait même d’aller au christianisme. Ils doivent en
fait quitter leurs croyances et changer de vie, tandis que les juifs doivent
plutôt intégrer les compléments apportés par le Christ-Messie.
Jacques
semble se demander pourquoi surajouter d’obstacles aux païens qui viennent au
christianisme alors qu’ils en ont déjà trop à surmonter, si cela ne constitue
même pas une option fondamentale de la foi ? Il se tourne alors vers la
dogmatique pour y trouver ce qui pourrait bien ne pas se conformer à la volonté
de Dieu, à l’enseignement du Christ. D’où son détour par rapport au problème de
départ et l’introduction d’éléments nouveaux. Cela voudrait dire que s’il
trouve la question de la circoncision être un faux problème, il cherche plutôt
un problème vrai auquel le conseil pourrait chercher une solution. Il fait un
dépassement important : ne pas s’arrêter au superficiel ou au banal pour aller à l’essentiel. C’est alors que la
question de la communauté de table peut faire irruption dans l’assemblée. Jacques
condense l’enseignement du concile dans une triple abstinence :
·
S’abstenir de
l’idolâtrie : une
confirmation du « shémah » mosaïque qui trouve son sommet dans la
révélation trinitaire à travers le Christ Jésus : le chrétien n’aura pas
d’autres dieux en face de l’unique vrai Dieu.
·
S’abstenir de
l’immoralité :
la morale étant le domaine du comportement, cette exhortation en appelle à
l’observance de la Torah,
vue dans son achèvement dans le Christ : l’amour.
·
S’abstenir de
la viande étouffée et du sang : la viande étouffée suppose une chaire
mêlée au sang, car le sang ne circulant plus, il est difficile de le séparer de
la chair. Et dans le moyen orient le sang était considéré comme le siège de l’âme
de l’être vivant : « vous ne mangerez pas la chair avec son âme, le
sang »[21]
considérant Dieu comme le seul maître de la vie, les juifs trouvaient qu’il
était le seul à pouvoir disposer de l’âme d’un être vivant et le seul à qui on
pourrait la confier en sacrifice. C’est ainsi qu’ils offraient à Dieu le sang
en sacrifice d’expiation des péchés.
- La
résolution ou actes du concile :
Nous sommes ici au moment
décisif de la rencontre d’où doit sortir le compromis. Tout a déjà été
clarifié, il ne reste que dire un langage commun qui confirme la communion
retrouvée dans la rencontre. Ce langage commun est un regard d’ensemble et dans
la même direction. C’est une renaissance vitale, une reforme. Voilà pourquoi
les termes pour dire cette décision sont engageants et en appelle à un suivi.
Si les Apôtres, les Anciens et
les représentants aussi bien Judéo que Pagano-chrétiens peuvent réfléchir sur
une piste de solution, ils ne peuvent, d’eux même, aller à la prise des
décisions. La communauté chrétienne est pneumatique. Elle a l’Esprit Saint pour
Guide et l’Evangile comme Parole de Dieu lui-même. Elle ne peut donc pas
prendre une décision unilatérale et elle n’a pas droit à l’erreur. C’est ce qui
explique la fameuse formule :
L'Esprit Saint et nous-mêmes
avons décidé de ne pas vous imposer d'autres charges que celles-ci, qui sont
indispensables : vous abstenir des viandes immolées aux idoles, du sang, des
chairs étouffées et des unions illégitimes. Vous ferez bien de vous en garder.
Adieu." [22]
En ces termes
simples mais très déterminants, un performatif est placé : le conflit est
déclaré nul. Le comportement des chrétiens d’Antioche est reconnu loyal tandis
que la démarche du groupe des judéo-chrétiens issu du pharisaïsme est
rejetée ; il n’avait même pas mandat d’aller à Antioche.
Notons
que ces actes conciliaires se terminent par une exhortation du conseil :
prendre soins de mettre en pratique les recommandations faites.
4. AU
RISQUE DE LA
RELATIVISATION.
Au
risque de la régression de l’harmonie communautaire, la persistance des
conflits est évoquée aussi bien dans Ac. 15, 36-40 que dans Gal 2, 11-21. Il
s’agit de deux autres conflits post-conciliaires. Comme pour dire que les
conflits étant inhérents aux sociétés humaines, l’on ne peut prendre une
décision une fois pour toute, la reforme est également inhérente à la vie
humaine. Aussi bien est-il qu’on doit observer les décisions communautaires, on
doit aussi rester attentif à l’ambiance de la vie communautaire, car, comme on
dit pour la maladie et la souffrance, le conflit semble aussi conaturel à la
vie humaine. En effet, nier le mal pour le bien, c’est déjà entrer en conflit
perpétuel avec le mal et vice versa. Aussi, la perfection est une marque
d’évolution et pas un état statique. C’est une échelle dont on ne doit pas se
fatiguer de monter les gradés. On s’y introduit certes, mais on n’y est jamais
pleinement. C’est donc en surmontant un gradé en tant qu’il se pose comme
obstacle conflictuel, que la vie communautaire devient de plus en plus
parfaite.
C’est puisque
les apôtres sont aussi imparfaits qu’ils peuvent s’affronter d’opinions. Voilà
ce qui explique la mésentente entre Barnabé et Paul pour se faire accompagner
par Marc. Leur désaccord s’aggrava
tellement qu’ils partirent chacun de son côté (Ac. 15, 39). Il en est de
même pour l’incident d’Antioche où Paul reproche sévèrement l’hypocrisie de
Pierre.
Un
pas a été fait certes, le concile s’est terminé sur un accord qui trouve une
certaine réception chez les judéo-chrétiens comme chez les pagano-chrétiens :
l’unité, l’harmonie, la cohésion, la cohabitations au sein des communautés
chrétiennes sont rétablies sur recommandation des décisions du conseil qui
s’est tenu à Jérusalem. Cependant un risque demeure : celui de la
relativisation des décisions prises. Cette relativisation est ce que Saint
Antoine Marie Zaccaria appelle « relâchement »[23].
Il s’agit d’une inattention aux décisions communautaires centrées sur l’idéal
et d’un attachement au superficiel qui se traduit par un langage relatif et
relativisant les principes qui régissent la communauté. En conséquence on
commence à introduire des nouveaux repères sans motif et sans fondement qu’on
finit par les tenir pour principes avec comme
tentative de déséquilibrer ou réduire la dose du principe fondateur de
l’idéal de la vie communautaire. Cela peut se traduire également par le refus
ou rejet partiel si pas total, la déformation ou la modification pur et simple
du principe fondateur de la vie communautaire, bien sûr au détriment de la
communauté. C’est-à-dire qu’au nom de la liberté individuelle, on se fait la
prérogative de marcher sur la communauté.
Dans
tous les cas, il faut, pour sauver cette situation, un leader qui en appelle à
l’éveil de la conscience au sein de la communauté. Ce dernier rappelle à l’ordre, fait revenir à
la base et ramène à l’idéal. Tel est le rôle que joue Saint Paul dans Ga. 2. A travers lui, on sait voir
qu’un leader c’est un réformateur qui se bat pour l’essentiel en vue de
l’équilibre communautaire. Il veille à l’harmonie du groupe et sa préoccupation
majeure est de ramener sur le droit chemin. Dans ce sens reformer veut
dire : redonner la forme de l’idéal, rétablir ou restaurer la forme
fondamentale de la communauté.
Certes
que la critique rédactionnelle amène à dire que l’incident d’Antioche précède
le Concile de Jérusalem et semble être même la cause immédiate de celui-ci. En
effet, Pierre commence à se méfier de manger avec les païens à cause de la
présence de certains juifs de l’entourage de Jacques venus à Antioche où il se
trouvait. Ceci expliquerait alors les closes du concile de Jérusalem sur la
communauté de table (Ac. 15, 28-29).
Si nous devons
nous en tenir au texte, c’est après avoir tranché de la question de la
circoncision à Jérusalem, qu’a lieu l’incident d’Antioche. Aussi si Paul et
Barnabé défendent la même cause avant et pendant le concile, ils se séparent
selon les Actes pour la question de se faire accompagner par Marc, et selon
Galates Barnabé se range du Côté de Pierre dans l’incident de table. Ceci est
un indice à ne pas négliger. Si Galates et les Actes parlent chacun d’une
séparation ou opposition d’opinions entre Paul et Barnabé après une rencontre à
Jérusalem, il est probable qu’il s’agisse d’une même rencontre. En Galates 2,
la séparation est sensible et la reforme s’avère nécessaire pour garantir
l’unité communautaire. Le relâchement de Pierre conduit à l’écroulement de
l’unité au sein de la communauté. Encore que Pierre est le premier représentant
de l’Eglise à son temps. Il faut donc un leader, et c’est Paul. Il le dit
bien : « … je me suis opposé à lui ouvertement car il s’était mis
dans son tort. » (Ga. 2, 11). L’on pourrait ajouter : malgré qu’il
soit le pontifex maximus de l’Eglise.
Il
convient peut-être de se demander ce que voudrait bien dire se mettre dans son
tort ? N’est-ce pas s’écarter du principe, de la règle ou de la loi et se
rendre coupable par rapport à elle ? Ce n’est pas en effet la loi qui
devient fautive lorsqu’elle est transgressée.
Le coupable en est celui qui s’en passe et c’est sans doute lui qui doit
réparer son tort et s’y conformer. On l’appelle règle car non seulement elle
sert de référence, mais aussi de mesure et de garde fou. La transgresser est
différent de la réadapter aux situations nouvelles. La première action concerne
le déviant tandis que la deuxième concerne le réformateur.
Comme les décisions du concile de
Jérusalem, la réadaptation relève l’unanimité de la communauté selon une
certaine procédure qui implique un examen minutieux de la situation et du
contexte de vie. Par contre, la transgression est une violation pur et simple
de ce qui fait l’esprit ou l’idéal de la communauté.
Puisque
l’idéal est remis en cause, Paul refuse de se taire ni de se laisser entraîner.
Il se passe du conformisme malgré tout et en appel à l’essentiel. L’idéal
c’est, selon lui, la foi en Jésus-Christ et pas les œuvres de la loi. Il faut
d’ors et déjà rappeler que chez Paul, la loi est opposée à la foi en tant que
la loi est ce principe mondain qui a condamné le Christ –Sauveur et avec lui
tous les chrétiens. Par conséquent celle-ci, en l’occurrence la loi romaine et
celle du Judaïsme (on voit ici les multiples préceptes établis par les
pharisiens) ne peuvent justifier la personne du chrétien. C’est ainsi que Paul
peut déclarer : « car moi,
c’est par la loi que je suis mort à la loi afin de vivre pour Dieu. Avec le
Christ je suis un crucifié, je vis mais ce n’est plus moi c’est Christ qui vit
en moi » (Ga. 2, 19-20a). Ici Saint Paul met en exergue l’exemple
parfait d’un esprit réformateur de la vie communautaire : celui qui se
fond dans son idéal, qui l’intègre dans sa vie au point qu’il devienne le principe
même par lequel sa vie se dit, son caractère se comprend, son mouvement se
détermine :
Ø L’esprit réformateur se comprend dans l’idéal, et l’idéal
s’incarne en lui. Ce qui revient à dire que ce qu’il fait, ce qu’il dit et ce
qu’il fait faire est en parfaite harmonie et en vue même de l’idéal vital qui
est cet état de perpétuel perfectionnement. Aller à l’idéal, c’est l’assumer et
l’appliquer dans et sur la vie concrètement vécue.
Ø L’esprit réformateur est prédisposé à la révolte contre
toute perte ou déformation de l’idéal, car l’ayant incarné, il lui est
attentif. J’ose même croire que cette attention à l’idéal allant jusqu’à
permettre de le maintenir sans corruption et l’approcher davantage de la vie
concrète (adoption et adaptation) est ce qu’on appellerait perfection. C’est
ainsi d’ailleurs que la réforme est perçue comme une progression. A ce point,
il faut le dire, la réforme n’est pas s’évertuer à changer les choses quand
bien même on aurait des belles idées, mais non conforment à l’idéal vital de la
communauté. Elle est plutôt d’abord et tout simplement un rappel à l’essentiel,
à l’ordre selon l’esprit de la communauté. Et cela tout en intégrant les
situations nouvelles.
Faut-il encore
se demander qui doit être leader réformateur ? C’est bien sûr tout membre
de la communauté. A partir du moment où l’on accepte et adhère à une communauté
quelconque, l’on devient garant de la vie, de la vitalité et de la viabilité de
cette communauté. Et cela n’est possible qu’en veillant à ce que l’esprit ou le
charisme ou l’idéal de cette communauté ne trouve pas de corruption aussi bien
à partir de l’extérieur qu’à partir de l’intérieur. C’est seulement ainsi que
le membre devient ambassadeur de sa communauté et en tient la responsabilité.
Petit ou grand, supérieur ou subalterne, adulte ou enfant, parent ou
célibataire, homme ou femme, chacun est appelé, sans distinction, mais plutôt
en sa manière, à veiller sur le bien être de la communauté dont il fait membre,
à en être le garde fou, le garant.
Nous
devons remarquer avec le modèle même de Paul comme réformateur que réformer
n’est pas s’attaquer aux autres ou à leurs personnes, mais à ce qui brise
l’harmonie avec l’idéal communautaire. Les personnes, on les rappelle à
l’ordre, tandis qu’on s’attaque acharnement aux maux. C’est ainsi que Paul ne
s’oppose pas vraiment à Pierre, mais au comportement maladroit de celui-ci et
qu’il n’hésite pas de lui faire sévèrement des reproches.
CONCLUSION
Disons,
pour clore, que nous avons voulu, dans cet effort de réflexion, nous arrêter sur le texte en tant que tel et
en ressortir certains éléments pour la reforme de la vie communautaire et la
résolution des conflits au sein de la communauté. Je reconnais pourtant que
pour plus de conformité à l’aujourd'hui,
il aurait fallu s’arrêter plus sur la récontextualisation du texte.
Cette réflexion centrée sur la
communauté chrétienne naissante, est aussi ouverte à toute communauté humaine
et particulièrement chrétienne. En effet, chaque personne, par le fait même
d’être personne, est inscrite dans une communauté ; et la communauté, voir
même la famille la plus restreinte, a un idéal qui lui donne de se fonder au
minimum sur un principe de vie. Sans cela, cette communauté ne peut avoir
d’identité propre. Elle est indéfinissable.
La
communauté ne se dit pas seulement entre hommes. L’écologie et la cosmologie
nous apprennent que l’homme étant en communion avec la nature, il fait
également communauté avec elle. La religion quant à elle, nous apprend de
l’ultime communion qui met en relief le créé et le créateur, l’homme et son
Dieu, le profane et le sacré, l’univers et son Maître suprême. Ceci nous amène
à l’affirmation sans prétention de se tromper, qu’il n’y a pas de personne sans
communauté car le propre de la personne c’est d’ « être en communion
avec » (son semblable, le cosmos, l’Absolu ou Transcendent). Et si tout
homme est une personne, alors il n’y a pas d’homme sans communauté. Faut-il
dire que certains hommes arrivent à perdre leur personnalité.
Du
moment où il y a la communauté, il y a cohésion ou cohabitation entre les
individus au point de former ensemble une volonté collective. Celle-ci est
comme une mise en commun des opinions individuelles.
En cas des divergences ou opposition
d’opinions ou de sentiments, on parle de conflit. On peut donc comprendre le
conflit comme étant « une situation sociale où des acteurs en
interdépendance, soit poursuivent des buts différents, défendent des valeurs
contradictoires, ont des intérêts divergents ou opposés, soit poursuivent simultanément
et compétitivement un même but. »[24]
Partant de ceci, il y a lieu de dire que le conflit est coexistentiel à la
communauté. Il faut souligner qu’il met en interaction les membres mais oppose
leurs finalités ou leurs intérêts ou encore leurs préférences.
Résoudre
un conflit devient alors une harmonisation des ces divergences pour en arriver
à une même vision des choses afin de doter à la communauté une volonté qui soit
celle de ses membres en général. Cette
résolution appelle la négociation. Et celle-ci implique le débat ou dialogue où
les deux parties aux opinions ou sentiments divergents s’expriment et
s’expliquent. Le dialogue est sanctionné par une décision ou résolution qui
recrée l’harmonie et inscrit les deux parties sur la même ligne d’opinion.
Cette décision peut découler d’une de deux opinions, de la fusion des deux ou
encore de l’introduction d’une troisième qui soit plus ou moins neutre et
favorable pour les deux parties. Ainsi, la négociation peut être :
Ø Distributive : ce que l’un
gagne l’autre le perd. Elle permet que tous profitent équitablement.
Ø Intégrative : elle intègre
la problématique et la vision du litige des autres acteurs en opposition. Ici
on résout ensemble le conflit sans gagner au maximum.[25]
Nous
avons eu à regarder de près, dans cette réflexion, la manière dont nos premiers
pères dans la foi ont résolu les conflits dans la communauté chrétienne
primitive, en nous appuyant sur les textes des Actes des Apôtres 15 et Galates
2. Il a été opportun de commencer par situer le conflit dans son
contexte en jetant un regard sur les origines de la communauté chrétienne.
De là sont venues les questions qui font débat dans la rencontre de Jérusalem.
Ce sont des questions d’intégration et d’adaptions face à la situation nouvelle
de la foi en Jésus-Christ. Comment s’approprier le message évangélique du
Christ qui transcende le cadre culturel juif et se veut ouvert à toutes les
nations ? C’est ce qui constitue le champs conflictuel : les
judéo-chrétiens pensent que pour être chrétiens, les nations doivent passer par
le judaïsme. Or la foi résulte non de la culture, mais de la grâce divine. Le
Christ ne met pas des conditions ni des distinctions culturelles dans son envoi
en mission. Pierre l’a bien compris et c’est pourquoi il rappelle que la même
grâce par laquelle les juifs sont sauvés est celle qui sauve aussi les païens
qui viennent au Christ. Il rejette par là les exigences de la loi juive comme
condition d’être chrétien. Ceci est un pas considérable pour l’universalité du
salut. Jacques fait sienne la déclaration de Pierre et va jusqu’à chercher le
vrai problème qui touche la foi et le rapport à Dieu. Il invite à se passer du
superficiel et à poser des questions de fond. La circoncision devient un faux
problème et une remarque importante est soulevée : il ne faut pas accumuler ou multiplier les préceptes. Comme pour
dire que cette attitude est une manière de s’éloigner davantage de l’idéal en
se justifiant à travers les accessoires. Surtout, comme le dit Pierre, il ne
faut pas faire peser aux autres ce que nous-mêmes avons du mal à porter ou
supporter (Ac. 15, 10). Et Paul de renforcer l’accent sur l’idéal en démontrant
que la foi, une grâce divine, ne consiste pas à vivre de la loi mais du Christ
lui-même. C’est là toute la morale chrétienne telle que la définit le
Catéchisme de l’Eglise Catholique : la sequela
Christi. Ainsi, le chrétien, mieux le christianisme devient une épiphanie
du Christ, le visage par lequel le Christ transparaît au monde. Il faut donc
éviter de s’arrêter à la seule figure et oublier le Christ dont elle est la
manifestation.
Concrètement,
un chrétien appelé à la vie communautaire, ne doit pas s’arrêter aux
différences physiques, psychiques spirituelles ou intellectuelles appelées
d’ailleurs « accidents ». Cette différentiation est plutôt fruit de
la jalousie et des complexes qui finissent dans la non acceptation mutuelle. De
ceci régénère le sentiment de rejet ou refoulement, de refus ou anéantissement
et même d’annihilation de l’autre. Alors la communauté, loin d’être un terrain
de communion, devient un champ de batail ; un lieu de crime plutôt qu’un
lieu d’amour.
Fort est donc
de remarquer que le processus adopté dans le Concile de Jérusalem se révèle
être un procédé pour la promotion de l’homme dans l’harmonie communautaire,
dans la justice et l’équité. C’est un antidote contre le virus de la jalousie
afin de permettre à l’homme de pouvoir se connaître à fond et s’accepter. En
effet, l’acceptation de soi est en même temps affirmation de son identité et
acception ou reconnaissance de l’autre (prochain, cosmos, Dieu). Elle est la
reconnaissance en même temps de ses limites et des atouts d’autrui. Dans cette
perspective, l’Autre devient l’unité de mesure du Moi (Ego). L’autre est celui
sans lequel je suis sans valeurs et méconnaissable. Le personnalisme de Mounier
et Levinas comme l’intersubjectivisme de Gabriel Marcel nous en disent plus.
Seule une telle base consolide, dans une communauté, l’affirmation de
l’essentiel et l’intégration des différences dans une harmonie sans pareil.
Vu dans cette
perspective, Ac. 15 et Ga. 2 deviennent un flambeau qui éclaire la société
humaine dans ses différentes communautés et dans son intégralité. Cette lumière
luit davantage pour la communauté chrétienne qui fait spécialement du Christ
l’idéal de sa vie. Elle est encore plus luisante pour les communautés de vie
religieuse ou consacrée, une branche dans l’Eglise catholique, composée
d’« …hommes et des femmes qui, dociles à l'appel du Père et à la motion de
l'Esprit, ont choisi la voie d'une sequela
Christi particulière, pour se donner au Seigneur avec un cœur " sans
partage " (cf. 1 Co 7,34). Eux aussi, ils ont tout quitté, comme les
Apôtres, pour demeurer avec lui et se mettre, comme lui, au service de Dieu et
de leurs frères. »[26]
Le regard
tourné vers ces textes se veut encore pressant dans le contexte qui est le
nôtre. Celui de la période post-moderne où la liberté de l’homme cherche à se
traduire par l’ « enchaînement » de Dieu, pour ne pas dire son
refus ou la proclamation de sa mort. Plus la science évolue, plus l’homme se
découvre grand, plus il semble avoir une vision minimale de Dieu. Plutôt que de
voir dans cette grandeur l’incomparabilité de Dieu, l’homme moderne comme celui
post-moderne s’éloigne de l’idéal christique. La conséquence est
décriante : l’humanité devient un véritable carnage de sang ; l’homme s’affirme être un loup pour
l’homme ; Les communautés chrétiennes deviennent xénophobes plutôt
qu’intégratives ; Les membres, même des communautés religieuses, voir des
vie consacrée s’engagent – j’allais dire s’évertuent – dans et pour
l’anéantissement les uns des autres ; les rejets ou non acceptation entre
membres d’une même communauté ; le collinisme … il faut donc qu’on se
le dise, l’humanité est à une certaine perte de l’idéal. Nos communautés cherchent
à résoudre parfois des faux problèmes et s’arrêtent au superficiel. L’essentiel
est souvent masqué et l’on feint comme si l’on ne se rendait pas compte.
Ainsi donc,
l’appel à l’idéal de Pierre, Jacques, et Paul sans oublié tout le conseil de la
rencontre de Jérusalem, est une sonnette d’alarme à nos communautés, et plus
particulièrement aux communautés chrétiennes de ramener l’humanité et chacune
des communautés humaines sur le droit chemin. Il faut des leaders chrétiens qui
incarnent l’évangile dans son « en tant que », qui se révoltent de
cette perte de l’idéal et qui en appellent, en la manière de Ac. 15 et Ga., 2 à
un retour à l’essentiel. Tel est le propre d’un réformateur.
Bienvenu Marie
BISIMWA LUHIRIRI.
[1] Je dis ici unicité et non uniformité pour mettre
l’accent sur la particularité de la communauté perçue comme son idéal vital et
qui transparaît alors de manière uniforme dans tous ses membres.
[2] Luc est l’auteur des Actes des Apôtres. Il est aussi
disciple de Paul et consacre presque la moitié de son œuvre (à partir du 14
ème
chapitre) à raconter les œuvres et la mission de Paul.
[3] Pour éviter la confusion entre le premier conflit à
Antioche causé par un groupe des chrétiens juifs issus du pharisaïsme qui
voulait imposer la circoncision aux païens convertis au christianisme comme
condition en vue du salut (Voir Ac.15, 1-2) et le conflit opposant Paul à
Pierre (voir Ga.2, 11-21) : nous utilisons les termes « conflit d’Antioche »
pour le premier et « incident
d’Antioche » pour le second.
[4] Message de
la XVIIème Assemblée
de l’ASUMA au consacrés de
la RD Congo. :
« Qui nous séparera de l’Amour du Christ ? » (Rm.8 35) au numéro
8.
[7] « Qui m’a vu, a vu le Père » (Jn 14, 9)
[8] « Itumu omuntu
aherhe lyo analwamwo »
[10] Jacques Dupont,
Les
problèmes du livre des Actes entre 1940 et 1950, dans « Etudes sur les
actes des apôtres » (Lectio Divina 45), Paris, Cerf, 1967, pp. 11-124
[12] « La vie dans le Christ » est la troisième
parie du
CEC.
[13] Cfr Paul TILLICH,
Le
courage d’être, Casterman, Tournai, 1966.
[14] Jésus-Christ est né dans le contexte juif et il
appliquait
la Torah
non en la modifiant mais en la complétant.
[15] Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas ;
nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs.
( Jn, 4, 22)
[16] La circoncision était comme un poids pour certains
juifs : voir
Actes 15, 10
[18] L’apparition brusque des résolutions sur l’incident de
table dans les conclusions du concile alors qu’il n’est pas mentionné
auparavant, pousse à l’hypothèse exégétique selon laquelle Luc à ressemblé et
mis ensembles deux événement différents pour en faire la rencontre de
Jérusalem : il s’agit de la question de circoncision et l’incident de
table. (Voire notre introduction)
[19] Amos 9, 11-12 (grec).
[23] Saint Antoine Maria ZACCARIA,
Lettre et autres écrits, Tomaci, 1948, p. 101-105.
[26] JEAN PAUL II, Exhort. Apost.,
Vita sonsacrata, n° 1 (25 mars 1996)